HISTOIRE : CURRO ROMERO, UN MAESTRO UNIQUE


Le samedi 21 septembre 1991, en marge de l’alternative de Marie Sara, Curro Romero traçait sur le sable nîmois l’une de ses faenas pour l’Histoire, faisant sonner les cloches de la Giralda, à Séville, après avoir coupé la première oreille de sa temporada… Un maestro quasi sexagénaire à l’époque dont le grand public moquait fréquemment les débâcles en oubliant rapidement la grandeur de ses plus belles faenas. Un torero qui compte à son actif sept grandes portes à Madrid et cinq à Séville, excusez du peu…

Dans un entretien accordé au quotidien espagnol El País, Curro Romero rappelle « les sensations étranges » que lui procurait l’art du toreo. « J’étais comme porté, je ne ressentais plus le poids de mon corps… Cela m’est arrivé cinq ou six fois et cela me faisait peur » confie l’ancienne idole de la Real Maestranza de Séville.  Des confidences faites en marge d’une conférence organisée par la Fondation Cajasol, sous la houlette du journaliste José Enrique Moreno.

Des échanges sur la vie et les toros, avec de nombreux retours sur une carrière unique en son genre. Amateur de silence, Curro Romero avoue être admiratif du public du tennis : « les cris et les amusements me donnaient des maux de tête », raison pour laquelle le « pharaon de Camas » a toujours soigneusement évité les Sanfermines de Pampelune. Ce qui n’a empêché le grand Curro d’être ciblé par des critiques acerbes lors d’après-midis pour le moins inconfortables : « lorsque les choses ne se passaient pas bien, tous les regards étaient rivés sur moi, et pendant qu’un compagnon de cartel toréait on me criait « Curro, apprends ! », avec l’intention de m’ennuyer. Ce qui me faisait le plus peur dans ces moments-là, c’était la sortie des arènes par la piste parce qu’on me jetait de tout ; des coussins, bien évidemment, parfois même j’ai essuyé des crachats, et la police essayait de me protéger avec leurs boucliers. Alors je me demandais : « mais qu’ai-je donc fait pour mériter ça ? ». Un jour, afin de protéger Curro Romero d’une sortie d’arène tumultueuse, un aficionado suédois est même allé en piste à ses côtés, son bébé de quelques mois dans les bras, pour calmer la colère du public !

Après des petits métiers agricoles ou de coursier en pharmacie, Curro Romero avoue qu’il aurait bien aimé être berger s’il n’avait pas été torero. Une chose est sûre, le « pharaon de Camas » n’aurait pas été torero au XXIe siècle : « les toros sont aujourd’hui des éléphants et ils ne bougent plus comme à mon époque, celle où six pouvaient charger au sein d’un même lot ». Un maestro qui avoue avoir eu de la chance tout au long d’une carrière débutée en 1954 et qui durera très précisément 46 ans : « je n’ai jamais rien fait d’extraordinaire (…) si ce n’est j’ai raconté les choses avec harmonie et une certaine grâce, mais pas plus. Belmonte était bizarre, mais il se transformait en quelque chose de beau lorsqu’il toréait, et il est vrai que la beauté se dégage de peu de toreros » avoue le grand Curro.

« Le torero est le seul artiste qui réalise son œuvre devant des milliers de personnes » poursuit le maestro octogénaire, « et il se doit d’écouter si quelqu’un lui dit : « pas comme ça », imaginez-vous que cela puisse arriver à un écrivain ou à un peintre alors que l’inspiration lui vient ? », glisse avec malice Romero… Grand ami du Camarón de la Isla et de Manolo Caracol, Curro Romero a souvent partagé sa passion pour le chant flamenco avec ces grands noms de la discipline. Un artiste au sens large du terme, dont le nom, 18 ans après son retrait du toreo, demeure toujours une légende sur les bords du Guadalquivir comme ailleurs sur la planète taurine…

Curro Romero, parrain lors de l’édition 1996 de la Feria de Pentecôte de la première alternative conférée à une femme matador de toros, Cristina Sánchez (crédit photo : El Mundo).