Charles Trenet chantait La Mer et ses reflets d'argent. Tino Rossi encensait la Méditerranée et ses iles d'or ensoleillées. Récemment à Alicante, au balcon de l'hôtel de ville, devant une foule énorme, Jose Maria Manzanares soulignait l'influence de la Méditerranée : "Nous qui toréons, nous essayons de réunir dans notre savoir faire... ce qu'on a pu appeler l'art de la Méditerranée..."
Déjà en 1992, Luis Francisco Espla, autre torero d'Alicante, avait comparé la mer et le toro : "Je vois la mer et le toro comme une somme d'éléments majestueux, un bruit créateur, une menace, une solitude, une force innocente et brutale, beaucoup de vie et beaucoup de morts dans ses allées et venues..."
Existe-t-il une tauromachie de la mer ? Réponse, peut-être, ce vendredi 19 septembre à 11 heures, avec "trois toreros de la Méditerranée."
Roman Perez et Tomasito d'Arles, "dernière grande plage naturelle de la Méditerranée" dixit l'office de tourisme. En fait, Arles compte deux plages : celle de Piemancon, "où l'on vit nus jusqu'à l'embouchure du Rhône" avertit un panneau et celle de Beauduc qualifiée sur les dépliants "de bout du monde et d'endroit hors du temps" ou encore "de sorte de pampa oubliée entre terre et mer..." selon le couturier Christian Lacroix.
Alejandro Espla, le troisième torero du jour, est originaire d'Alicante où le sac et le ressac de la Méditerranée influencent la façon de toréer.
Trois toreros nouvelle vague !
Toros de Domingo Hernandez & Garcigrande :
Julito Aparicio, n'a pas réalisé la carrière que ses dons exceptionnels lui promettaient. Mais sa faena du 18 mai 1994 au toro Canego est entré dans l'histoire de Las Ventas et de la tauromachie. Depuis sa vie taurine oscille entre naufrage et résurrection, entre caprices et abandons.
Julito Aparicio fils du torero Julio Aparicio et de la célèbre danseuse de flamenco, la gitane Malena Loreto, est né dans l'aisance. Il a suivi des études au collège de Maravillas à Madrid et commencé à toréer dans des tientas sans prévenir son père.
Depuis peu, à près de 40 ans, Julito Aparicio qui lit régulièrement le "New York times" a remis l'habit de lumière. Cette saison il s'est retrouvé à Las Ventas par deux fois. Histoire de montrer au sévère public de Madrid que la faena de 1994 pouvait encore se conjuguer au présent. Ce ne fut pas le cas. Mais des parfums et des détails ressurgirent. Le revoilà à Nîmes, autre lieu où il brilla de mille feux avec sa tauromachie "magique". Y répètera-t-il sa somptueuse faena de juin 1992 ?
Autre torero énigmatique : Morante de la Puebla. Lui aussi a tout connu, les coups de cornes, les coups de coeur, les coups de blues, les triomphes et les naufrages "...Morante de la Puebla est un séduisant torero de méandres et de caprices écrivait Jacques Durand (Libération 7 avril 2005) à l'image du Guadalquivir qu'il porte comme un voyageur clandestin dans son sobriquet toponymique. Morante, du village de la Puebla del Rio, sous entendu del rio Guadalquivir. 10 000 habitants, 28 hectares de rizières, des cigognes, le blues évasif des marais du delta du Guadalquivir..."
Ce matin, cartésiens s'abstenir ! Rêveurs accourir !
Des anges peuvent revenir sur terre !
Activités publiques : Univers impitoyable où les soleils d'Austerlitz ne durent qu'un instant. Acteurs, de théâtre, chanteurs, sportifs professionnels, toreros le savent. Ils connaissent bien ces moments de solitude, de doutes, d'angoisse, de sonnerie de téléphone qui se rarifient, les "amis" qui baissent les yeux et tournent le dos, les publics qui brûlent ce qu'ils adorent, la presse qui s'interroge.
Juan Bautista a flirté avec ce sale temps voici cinq saisons. Il a jeté l'éponge, réfléchit, s'est reposé, puis il est revenu avec succés, a ouvert la Grande Porte de Madrid et intégré le top 10 des toreros.
Matias Tejela n'a pas terminé la feria de Pentecôte. Un toro d'El Pilar l'a dirigé vers l'infirmerie, le privant d'une sortie triomphale.
Alejandro Talavante est un torero en construction, qui possède un atout unique : ses naturelles inversées inégalables ! Un jour d'avril 2007, ce jeune torero à l'allure, encore d'adolescent un peu gauche a mis debout Séville qui venait de tresser des louanges à Morante de la Puebla. Significatif !
Trois toreros à qui il manque, cette saison, ce petit rien qui fait la différence. Trois toreros de talent, blessé ou malchanceux à la Pentecôte, qui reviennent fort logiquement aux Vendanges, en quête d'un deuxième souffle.
Quand ses toros entreront dans les arènes de Nîmes, Robert Margé ne sera probablement pas présent. Depuis sa brouille avec son coeur sur une route d'Andalousie, il tente d'éviter les moments de forte émotion. Et voir combattre ses toros, met trop à contribution son coeur.
Alors, quand Curro Diaz, Salvador Vega et Luis Bolivar défileront de la porte des cuadrillas à la présidence, Robert Margé s'installera dans le jardin de son hôtel, portable sur la table et attendra impatiemment des nouvelles, venues des arènes.
Robert Margé est d'abord éleveur de toros. Certes, il compte d'autres activités : directeur des arènes de Béziers, apoderado, organisateur de spectacles... mais sa passion, sa raison de vivre, c'est d'abord les toros au campo.
En costume-cravate, dans le parc d'une résidence huppée, au milieu d'invités prestigieux, peu importe où et avec qui, il se trouve, il y revient sans cesse. "J'ai besoin de voir régulièrement le chemin du mas et mes toros" rappelle-t-il avec insistance comme s'il voulait faire pardonner sa présence dans ces lieux plus mondains.
Robert Margé qui ressemble au personnage de "Bob le flambeur", un film pas très récent de Jean-Pierre Melville sait que des années de travail, de séléctions, de sueurs sont jugées en quinze minutes.
Dans les jardins de son hôtel, en direct avec les arènes, Robert Margé pensera à ses futurs étalons, au choix de ses reproductrices, au chemin de son mas. Même les jours de grand soleil, le toro ramène toujours à la terre, à la réalité, à l'humilité.
Pour fêter le dixième anniversaire de son alternative, El Juli aurait pu se contenter de souffler dix bougies sur un gâteau en présence de quelques amis. Pas du tout ! Il a opté pour un travail d'Héraclès (ou d'Hercule, si vous préférez la version romaine). Non pas contre l'hydre de Lerne, mais contre six toros. Seul contre six toros pendant plus de deux heures !
Pas de quoi s'étonner tout de même quand on connaît le parcours du sieur Julian Lopez "El Juli". Tous les chemins mènent à Rome, dit-on, sauf le sien qui débouche quotidiennement dans des arènes depuis le 2 juin 1991. Il n'avait pas encore 9 ans ! Les plus de trente ans vous parleront d'un temps où un minuscule bout de chou médusait les becerros au centre de la piste. Les aficionados pointilleux goûtaient peu le spectacle et émettaient de sérieuses réserves, citant comme exemple quelques petits monstres redevenus bien ordinaire dès leur entrée dans l'adolescence. Ils se trompaient. El Juli a réussi ses mues. Le becerriste surdoué s'est métamorphosé en novillero talentueux, et le novillero en matador de premier plan. El Juli a tout digéré y compris l'abandon de la pose de banderilles qui a désorienté pendant quelques temps une partie de son public.
A 25 ans, El Juli aligne des chiffres impressionnants (au 30 juin, il totalisait 1 033 corridas !), enchaine les performances, manifeste aucun signe de lassitude. Au contraire, il apparaît plus déterminé et plus enthousiaste que jamais. Un éternel jeune homme.
Un bout de chou devenu Héraclès !
Toros de Nuñez Del Cuvillo & Garcigrande & Victoriano Del Río :
La France taurine en rêvait. Beaucoup d'aficionados en doutaient. Sébastien Castella l'a fait.
En mai 2007, le torero originaire de Béziers est entré dans l'histoire de la tauromachie tricolore, en ouvrant la Grande Porte des arènes de Madrid. Aucun français n'y était jusqu'alors parvenu.
On l'imaginait ensuite prophète en son pays. On se trompait. Pas ou peu de peñas ou clubs créés en son nom et en son honneur. Rien. Quelques lignes dans la presse spécialisée et régionale. C'est tout.
Pire ! Une courte période de doute, suivie d'un changement d'apoderado à la fin de la saison 2007 et une révision du montant de ses contrats ont été mises à profit par certains pour l'éloigner des arènes françaises, cette saison.
Ainsi, à l'exception de sa ville natale Beziers, il ne fera pas un seul paseo en France en 2008.... sauf à Nîmes où il a toréé à trois reprises à la Pentecôte, où il revient aux Vendanges.
Et, il revient seul contre six toros de ganaderias différentes !
D'abord par défi ! Pour démontrer à ceux qui en doutaient encore qu'il est, bel et bien, le meilleur torero français de tous les temps, que sa marge de progression reste importante, qu'il demeure dans le top 5 des toreros actuels.
Par reconnaissance ensuite ! Reconnaissance envers les arènes de Nîmes qui lui ont fait confiance quand les autres arènes tricolores lui tournaient le dos.
Sébastien Castella a choisi de toréér seul six toros ! Une première dans sa carrière de matador de toros !
16 mars 1990 ! Enrique Ponce reçoit l'alternative à Valence. Ruben Pinar patiente bien au chaud dans le ventre de sa mère. Il en sortira cinq mois plus tard. Il y a de l'eau dans le gaz et du benzène dans le Perrier. Alice Sapritch et Greta Garbo arrivent au bout de leur route. Ava Gardner, comtesse aux pieds nus, amoureuse de l'Espagne et d'un torero est montée au ciel deux mois plus tôt. Victorino Martin brouillé avec l'administration espagnole envoie tous ses toros en France. L'Irak se prépare à envahir le Koweït.
21 septembre 2008, c'est déja loin tout ça ! Enrique Ponce parraine l'alternative de Ruben Pinar. Pour ce dernier, c'est une aubaine. Enrique Ponce est le torero le plus expérimenté du circuit. Il totalise 1 550 corridas en Europe (si l'on ajoute celles de l'autre côté de l'océan, il doit flirter avec les 1 800) et détient le record d'indultos (il a gracié 32 toros dans les arènes des deux continents). Chaque début de saison, on annonce sa prochaine retraite. Mais, il est toujours là. Imperméable au temps, aux modes, aux toreros qui passent, Enrique Ponce, le sage de l'arène !
Miguel Angel Perera, le témoin de la cérémonie d'alternative, n'a rien d'un sage. Il est jeune, talentueux, audacieux et en pleine ascension. Depuis l'été 2007, il bouscule tout, danse collé au toro, résiste au tsunami Jose Tomas, met debout Madrid, multiplie les triomphes, tutoie les anges et les sommets.
Ruben Pinar, le meilleur novillero actuel, arrive dans la cour des grands. Bienvenue chez les stars !