18H00
Victorino Martin 79 ans, castillan, chauve, rugueux, terrien, malin et roublard demeure un personnage immensément populaire en Espagne.
L'aventure a commencé en 1960. Victorino, du haut de ses 31 printemps, achète, à la porte de l'abattoir, un lot de toros des frères Escudero Calvo dont personne ne voulait. Sous leurs peaux, coule pourtant le sang de la formidable race du Marquis d'Albasserada. Pendant plus de dix ans, à coups de tientas sévères, de choix rigoureux et de travail acharné, Victorino va, peu à peu, retrouver la race, le sang et relancer la ganaderia. Madrid, la première, tombe sous le charme en 1968. Quarante années plus tard, le coeur de Las Ventas bat toujours pour les Victorino.
Nîmes les adoptera quelques années après. En 1990, trente toros de Victorino - soit 5 corridas - déboulèrent du toril de Nîmes, conséquence des démélées du ganadero avec l'aficion espagnole. Depuis, celui que le mundillo appelle le sorcier de Galapagar (Victorino Martin est né à Galapagar, cité proche de Madrid) est resté fidèle aux arènes de Nîmes où - épizootie de langue bleue oblige - ses toros n'ont plus couru depuis le 19 septembre 2004.
Mercredi 7 mai 2008, les toros de Victorino Martin retrouvent la France.
A Nîmes. En ouverture de la feria !
11H00
Encore un cliché qui s'effondre ! Dans sa chanson "Les belles étrangères", écrite voilà plus de 30 ans, Jean Ferrat affirmait que les jeunes espagnols issus des classes populaires et ouvrières devaient choisir entre la faim et le toro. Dans le même temps en France, des critiques taurins tenaient les mêmes propos : "pour être torero, il faut avoir faim". La réussite de Manuel Benitez "El Cordobes" renforçait leurs écrits et leurs discours.
L'arrivée d'une nouvelle génération de toreros a balayé ces idées reçues. Mieux, certains toreros nouvelle génération n'ont pas besoin de toro pour se nourrir, ni pour asseoir leur position sociale. Ainsi Cayetano, entré dans l'arène après des études supérieures en Suisse et aux Etats-Unis. Ainsi, Sebastian Palomo Linares, avocat et Alejandro Espla, diplomé de l'Université de Boston (USA). Alejandro Espla, fils du torero Luis Francisco Espla, présente un cursus universitaire semblable à celui d'un rejeton de cadre supérieur. Diplomes en poche et trilingue, Alejandro Espla ne manque pas d'atouts professionnels. Il a le profil privilégié par les chasseurs de tête. Mais, il a choisi une autre voie : le toreo. Il s'est lancé dans cette nouvelle aventure en juin 2007 à Alicante. Depuis, il a peu toréé. Cinq novilladas dont la dernière à Valence (14 mars) lui a valu les félicitations de la critique.
Alejandro Espla qui n'a pas faim au sens littéral du terme, a choisi le toro.
18H00
Toros de Puerto De San Lorenzo
L'Extremadure n'est pas la région privilégiée des amoureux de l'Espagne. Ils lui préfèrent l'Andalousie, la Catalogne, voire le Pays Basque. Caceres, Merida, Badajoz, villes romaines, musulmanes, médiévales et aristocratiques n'ont pas les mêmes attraits que Madrid, Barcelone, Séville ou Grenade.
Séparée du Portugal par le fleuve Guadiana, Badajoz capitale de la Basse Extremadure est une cité presque oubliée et peu connue des espagnols eux-mêmes. Badajoz, ville de 140 000 habitants n'a pas non plus une grande réputation tauromachique. Cela n'a pas empêché Alejandro Talavante né voilà 20 ans dans la cité de Basse Extremadure d'y rencontrer le toro. Parcours identique pour Miguel Angel Perera originaire de la Puebla de Prior au sud - est de Badajoz, tout près de Zafra à quelques hectomètres de la Nationale qui mène directement à Séville.
Alejandro Talavante et Miguel Angel Perera, deux enfants d'Extremadure ont un point commun à Nîmes : ils ont décroché la Cape d'Or. Depuis, ils ont quitté la catégorie "espoirs" pour intégrer celle réservée aux étoiles.
Si aucun toro ne se met en travers de leurs muletas, ils pourraient rester longtemps sur les cimes et donner à l'Extremadure deux toreros pour l'Histoire.
00H00
Antonio Ordoñez, le grand-père, a tout reçu de Nîmes. Des oreilles, des queues, des bravos, des fleurs, des sorties triomphales, un club taurin, un bar (un bar de l'hôtel Impérator porte son nom) et un rond-point inauguré par son petit-fils Francisco, le 28 février 2004.
Paquirri, le père, fut aussi couvert de cadeaux : fleurs, oreilles, clubs, Portes des Consuls.
Cayetano, fils et petit-fils, attend son heure. Voila un jeune homme qui peut mener une vie de star sans passer par la case toros. Il a pourtant choisi, par aficion, de se placer devant les cornes. Son parcours est atypique. Il est entré dans l'arène à trente ans. Depuis la France taurine le boude. Elle ne lui a pas offert un seul paseo quand il était novillero, à l'exception de Nîmes où il a traversé deux fois la piste à la Pentecôte 2006.
Matador de toros depuis 18 mois, Cayetano reste inédit en France, sauf à Nîmes où il a confirmé son alternative à la feria des Vendanges 2006, où il revient à la Pentecôte 2008. Ce sera son quatrième paseo en France. Son quatrième à Nîmes où on apprécie cette famille.
Une "famille nîmoise" aurait ajouté Christian Liger, écrivain de Nîmes et aficionado.
Toros de Domingo Hernandez & Garcigrande :
26 février 1995 ! Rose Fitzgerald Kennedy, 104 ans, mère de John, président assassiné, est partie récemment vers d'autres cieux.
François Mitterand vit ses dernières semaines de président à l'Elysée.
Dans un mois, la convention de Shengen qui prévoit la libre circulation des personnes dans l'Union Européenne, entrera en vigueur.
Les élus européens planchent sur le nom de la future monnaie commune. Elle s'appellera l'Euro.
Steffi Graf domine le tennis féminin.
A Nîmes, les premiers sondages donnent Jean Bousquet battu par Alain Clary aux prochaines élections municipales.
Nîmes Olympique vit une saison noire et se dirige tout droit, pour la première fois de son histoire, vers le National.
26 février 1995 ! Trois jeunes novilleros traversent la piste des arènes de Nîmes devant un public maigrichon. Le plus connu : Ludovic Lelong, "Luisito" élève turbulent du Centre Français de tauromachie. Le second, Rafaelillo est comparé à Antonio Ferrera. Du troisième, José Tomás, on sait peu de chose. Selon les rumeurs du mundillo il a fait ses classes au Mexique où il a développé son penchant pour la lenteur avec laquelle il donne ses premières véroniques "nîmoises" devant une centaine d'aficionados ébahis.
Jeudi 8 mai 2008, Luisito, devenu matador de toros, a coupé sa coleta et pris la direction du Sud. Rafaelillo sera là dimanche face aux Miura.
José Tomas torée de plus en plus lentement, et chacune de ses apparitions en piste, constitue un évènement.
18H00
C'était un soir d'été 2005, à Palavas. Le torero mexicain El Quitos qui chaperonne Joselito Adame depuis son atterissage en Europe, avait garé sa voiture, le long du canal, derrière les arènes, à l'ombre et à l'écart de la foule. Le voyage depuis Madrid avait été long et pénible. El Quitos et Joselito Adame indifférents à l'agitation estivale, somnolaient à l'intérieur. Histoire de retrouver quelques forces avant la becerrade nocturne.
A 22 heures, moins de cent spectateurs s'impatientaient sur les gradins. Dans le callejon, ce n'était pas non plus la foule des grands jours.
Manquait à l'appel, l'ambulance, coincée dans un bouchon non prévu par Bison Futé, entre Sète et Montpellier.
A 22h45, toujours pas d'ambulance. La poignée de spectateurs s'impatiente. La direction des arènes propose de les rembourser. La plupart acceptent.
A 23 heures, l'ambulance se fait encore attendre. On se dirige vers l'annulation de la course. Protestations de Joselito Adame qui ne veut pas retourner à Madrid sans avoir toréé.
Il fera le paseo à 23h30 dans une arène désespérement vide, envahi par les sonos du parc d'attractions tout proche.
Joselito Adame prendra son temps, banderillera ses deux becerros, allongera au maximum ses faenas et donnera le meilleur de lui-même avant de repartir au milieu de la nuit, destination Madrid.
Deux années plus tard, le 16 septembre 2007, Joselito Adame quittait les arènes de Nîmes par la Porte des Consuls aux côtés de Denis Loré et José Tomás.
Quinze mille spectateurs debout n'en finissait plus d'applaudir. Cette nuit là, Joselito Adame a dormi à l'hôtel. Pas dans sa voiture !
11H00
C'était à Beaucaire. Sous un soleil de plomb. Avec les chants des cigales accrochées aux platanes, à deux pas du Rhône. André Martinez, le torero local prenait l'alternative. Il ne fera pas d'autres corridas. Parrain de la cérémonie : le torero colombien Paquito Perlaza. Témoin, un torero de Salteras, inédit en France : Manuel Jesus "El Cid".
Qui se souvient de ce 21 juillet 2001 ? Les gradins étaient désepérément vides et tout le monde - presque tout le monde - a oublié la présentation en France de Manuel Jesus "El Cid".
Lui n'avait pas raté ce premier rendez-vous avec l'aficion tricolore. Mais, une cascade d'échecs à l'épée avait transformé le triomphe assuré, en sifflets.
Le 4 juin 2003, El Cid, pas encore au sommet, traversait pour la première fois la piste de Nîmes. Il repartait avec la seule oreille du jour, sans laisser de traces dans la mémoire des aficionados.
El Cid est un torero à maturation lente, qui attendra cinq saisons avant d'ouvrir la Porte du Prince à Séville, et six ans avant de dénicher la clé de celle de Madrid.
La saison dernière, Pampelune et surtout Bilbao, le 25 août seul face à six toros de Victorino Martin, l'ont hissé définitivement en haut de l'affiche.
Là où les noms des étoiles s'écrivent en lettres majuscules.
18H00
Dimanche de Pentecôte dans les arènes de Nîmes. C'est le jour des familles et des toros. C'est la journée grand public. Une heure avant le paseo, les amphis sont bondés et le public chante. Cinquante soirées après Pâques, les chrétiens fêtent la descente du Saint-Esprit sur les Apôtres et les aficionados célèbrent le toro.
La saison dernière, c'était des toros d'Hubert Yonnet. Celle d'avant des Samuel Flores, encore avant des Palha, encore plus loin des Adolfo Martin.
En 2008, ce sont des toros de Miura. Des toros de nuit. "Les toros de Miura, c'est la nuit obscure. Les autres toros, le jour clair" affirmait le torero Ruiz Miguel grand connaisseur de toros en tous genres.
Pablo Picasso préferait parler des aficionados : "Nous sommes un drôle de peuple. Le matin, nous allons à la messe, l'après-midi aux arènes, le soir au bordel."
Toros de nuit. Drôle de peuple. Descente du Saint-Esprit.
A Nîmes, le dimanche de Pentecôte n'est jamais un dimanche comme les autres.
Les chiffres l'affirment. La corrida de rejon a le vent en poupe. En 1997, les arènes d'Europe ont organisé 341 corridas de rejon. En 2007, ces mêmes arènes en ont proposées 469. Soit 128 corridas de rejon de plus en 10 ans ! Soit une agmentation de 37,50 %.
Pourquoi cet engouement pour la corrida de rejon, jadis cantonnée dans quelques arènes pour des manifestations ponctuelles ?
Après les cavaliers de l'apothéose (Angel Peralta, Alvaro Domecq...) très courtisés dans les années 60, la corrida de rejon a connu sa traversée du désert avant l'arrivée de Gines Cartagena, davantage cavalier que torero certes, mais surtout bête de scène ou bête d'arène si vous préférez. L'homme a fait bouger les lignes comme disent les observateurs politiques.
Puis, vint Pablo Hermoso de Mendoza qui mêla avec succés spectacle équestre et toreo. Dans la fouléé de ces deux révolutionnaires, vint s'ajouter toute une cohorte de jeunes dont Diego Ventura, l'étoile qui monte. Alvaro Montes inédit à Nîmes et Leonardo Hernandez appartiennent eux aussi à cette nouvelle génération de rejoneadores qui toréent autrement et qui enchantent.
17H30
Toros de Gutierrez Lorenzo & Jandilla :
"Pour parler pertinemment de quoi que ce soit, il faudrait pouvoir le définir. C'est du moins ce qu'on répète depuis les dialogues de Platon... Or, on ne peut guère dire de quel genre la corrida relève... On ignore dans quelle classe d'activité la ranger (rite ? Jeu ? Sport ? Art ? Spectacle ?). Serait-ce une sorte de drame inclassable, l'ornithorynque des pratiques humaines, un défi à l'ordre établi entre jeu et sérieux, entre profane et sacré, entre représentation et réalité, entre tragédie vraie et performance plastique ?" interroge Francis Wolf dans "Philosophie de la corrida" éditions Fayard.
Inclassable la corrida ? Probablement !
Inclassable mais pas figée !
Quand la corrida cessera d'évoluer, cessera de s'adapter à son époque, aux goûts et aux besoins de son public, elle se réfugiera dans les musées. Inutile de rappeler les étapes de l'évolution de la corrida depuis son origine. Elles sont multiples et variées. Les arènes de Nîmes, à leur manière, y ont participées.
Ainsi, les corridas matinales nées à Nîmes ou encore l'inclusion d'une étoile du rejoneo dans un cartel de toreros.
A la Pentecôte 2008, Nîmes ose encore ! En affichant en clôture de la feria et à une heure vespérale, l'étoile du rejoneo (Pablo Hermoso de Mendoza) et deux étoiles du toreo (El Juli et Miguel Angel Perera).
Trois stars et un zeste d'audace dans un final cinq étoiles !