ARTS : RENCONTRE AVEC VINCENT BIOULÈS


- Vincent Bioulès, pourquoi avoir choisi une porta gayola pour illustrer l’affiche de ces 70 ans de Feria de Pentecôte ?

- « Porta gayola » est une expression portugaise qui signifie « à la porte de la cage, de la prison », en l’occurrence ici « du toril ». Il est également écrit « Nîmes a porta gayola » qui correspond à « Nîmes à la sortie du Covid ». C’était la prison dans laquelle étaient enfermées les ferias précédentes.

- Que représente pour vous le fait de signer l’affiche des 70 ans de la Feria de Pentecôte. L’auriez-vous un jour imaginé ?

- Cela me rappelle tout bêtement ma première Feria. Nous avions encore un maset à Nîmes où je passais mes vacances : à Pâques, à Pentecôte et au mois de septembre – car les vacances d’été duraient de juillet à septembre – j’étais souvent à Nîmes et j’ai commencé à assister très régulièrement aux corridas qui y étaient organisées à ce moment-là. Donc cette signature d’affiche est presque un anniversaire de ma propre afición.

- Il y a 30 ans c’était Francis Bacon qui signait l’affiche des 40 ans de la Feria de Pentecôte. Quel regard portez-vous sur l’attirance qu’exerce la tauromachie sur les artistes, quels qu’ils soient et quelles que soient leurs sources d’inspiration ?

- La plupart du temps c’est parce que la tauromachie est fascinante en tant que spectacle et extraordinairement difficile à évoquer, sans tomber dans le pittoresque. Je me souviens des affiches de mon enfance qui étaient imprimées en Espagne et sur lesquelles on ajoutait les cartels des ferias françaises sur du papier en noir et blanc. Elles étaient dessinées par un type qui s’appelait Reus. C’étaient des affiches tape-à-l’œil, où l’on reconnaissait des toreros comme Manolete ou Dominguín, avec des passes classiques comme des naturelles ou des On a abandonné ça pour confier ensuite la création des affiches à des artistes… On l’a vu avec l’affiche de Viallat qui, parallèlement à ça, a peint des toros dans sa peinture non-figurative. Progressivement, les peintres ont abandonné les figures taurines pour faire des œuvres plus poétiques, plus en référence à une sorte de culture de la tauromachie et d’une culture de la Fiesta, de la Feria, qui ont donné naissance à des affiches très contradictoires et très fantaisistes. Personnellement, ça m’a amusé de revenir finalement à une figure très traditionnelle de la corrida, à savoir la suerte de la porta gayola, et se mettre à genoux pour attendre le toro à la porte du toril.

- Beaucoup de ces affiches peintes par Reus dans les années 70 s’inspiraient de photographies célèbres de passes effectuées par des toreros vedettes de l’époque comme El Cordobés et Palomo Linares…

- Effectivement, c’étaient des passes qui étaient effectuées avec une espèce de brio et de facilité très grandes. Il y avait aussi une véritable virtuosité dans ce côté tape-à-l’œil. C’étaient de véritables peintres professionnels qui faisaient ça avec beaucoup d’habileté et c’était dans l’esprit du temps.

- Quels ont été vos sources d’inspiration et votre support visuel de travail pour créer cette « porta gayola » ?

- Je suis parti sur la base de plusieurs photographies de toreros attendant le toro a porta gayola. Par le travail, toutes ces photographies se sont fondues en une vision dont j’ai voulu que le torero et la cape occupent une grande partie de la surface et soit une œuvre plastique, afin qu’il y ait une sorte de notion de composition, de prise en main de la surface qui m’était offerte. J’entends par là faire une sorte de tableau malgré le côté réaliste de l’’image. J’ai exécuté ça au pastel avec un peu de peinture acrylique pour obtenir cette matière assez scintillante et douce à la fois.

- La prise de vue de cette porta gayola s’inspire-t-elle du lieu et de la place que vous occupez traditionnellement lorsque vous assistez aux corridas aux arènes de Nîmes ?

- Je suis abonné au Toril Bas, à la place 78 !

- Depuis que vous êtes abonné, quels ont été les toreros ou les courants tauromachiques qui vous ont le plus inspiré ?

- Il y a une quinzaine d’années, j’ai été impressionné de voir comment El Juli était devenu le chef de file des écoles tauromachiques, paradoxalement tout en étouffant la montée en puissance de jeunes toreros. Aujourd’hui, ce qui me plaît c’est que des toreros comme Ureña ou De Justo prennent les devants et se séparent de ces figuras qui demeurent les mêmes… Malgré la science considérable de ces toreros vedettes, leur présence avait créé une sorte de monotonie qui faisait que l’on pouvait presque décrire à l’avance ce qui allait être une faena du Juli ou de Manzanares. Il n’empêche que ce sont de très grands techniciens, qui sont animés par un talent considérable. On ne devient pas une vedette si l’on n’a pas de talent, il ne faut pas se raconter d’histoires… Toutefois, ils ont figé la tauromachie en exigeant des qualités de toros très particulières, comme les Garcigrande et les Domecq, qui se comportent tous de la même manière et qui donnent naissance à des faenas monotones, parce que toujours calquées sur le même modèle.

- Outre la composition de l’affiche des 70 ans de la Feria, quelle est l’actualité de vos œuvres en cette année 2022 ?

- Je viens de la Foire de Paris où j’ai été présenté par ma galerie et ça s’est très bien passé. J’ai aussi eu du succès à la Foire de Chicago, où je reçois encore des nouvelles très positives de ma participation. Je prépare également une autre exposition en vue de la rentrée de septembre à Paris.

Vincent Bioulès lors de la présentation de l’affiche de la Feria en mairie de Nîmes (crédit photo : Anthony Maurin).