Il y a quelques semaines, Paco Ureña s’est livré au feu des questions de la journaliste Rosario Pérez dans les colonnes du quotidien espagnol ABC. Sous le titre évocateur « Quel animaliste aime autant le Toro qu’un Torero ? Moi, je joue ma vie face à lui », le torero murciano revient sur la grave blessure du 14 septembre 2018 survenue lors de la Feria d’Albacete qui lui a coûté la perte de la vision de l’œil gauche. Après sa réapparition valeureuse lors des Fallas de Valencia, Paco Ureña fait un point sur sa carrière après avoir déjà tant donné au toreo…
Un matador qui revient sur le traumatisme lié à la perte de son œil, remplacé cet hiver par une prothèse oculaire : « depuis septembre, je savais que j’avais perdu la vue et qu’il serait difficile de conserver le globe oculaire (…) à cause d’une infection, on m’a finalement opéré en urgence et en février j’ai dû me résoudre à renoncer à garder l’œil. Ce fut très dur, même si celui-ci était devenu inutilisable, on enlevait une partie de moi ». Un torero qui, après le coup de corne, a dû défier le plus redoutable des toros, son nouveau reflet dans le miroir : « j’étais incapable de me regarder (…) cette situation était due à ce qui m’a fait le plus aimer la vie : le Toro. Je suis capable de dire que je donnerais ma vie pour lui. Je l’ai déjà démontré et je continuerai à le faire tant que mon corps me le permettra » explique le matador originaire de Lorca. Un corps qu’Ureña n’oublie pourtant pas en faisant référence à la philosophie du toreo de José Tomás et à l’une de ses phrases « vivre sans toréer, ce n’est pas vivre » : « cette phrase est très vraie. Je le ressens ainsi. José Tomás marque l’éthique et la racine profonde du toreo ».
Dans le mois qui a suivi le coup de corne d’Albacete, Paco Ureña est passé par des moments critiques de doute et d’angoisse. Physiquement touché et amoindri, le torero avoue qu’il ressemblait à un « cadavre » et qu’une crise d’angoisse le saisit un jour alors qu’il prenait sa douche : « je suis mort, je ne suis plus capable, je ne suis plus capable… ». Paco Ureña raconte comment la lidia immédiate d’un novillo lui a permis de se rassurer et de chasser ses angoisses : « je n’en pouvais plus avec le toreo de salon, et lorsque cet animal a investi la piste la magie a surgi. Je lui ai fait une passe à droite, exactement là où est survenu le coup de corne parce que j’avais besoin de m’ôter cette peur. J’ai toréé ce jour-là comme jamais je ne le ferai. Ça a été le jour le plus importante de toute ma vie, le jour où j’ai le plus pleuré et le plus embrassé mes proches. Ainsi, j’ai pu repousser l’image du cadavre sous la douche » confie-t-il.
Un Paco Ureña qui a également pu compter sur le soutien indéfectible d’un torero qui connaît parfaitement cette épreuve, Juan José Padilla : « je ne pourrai jamais assez le remercier, ni lui, ni sa femme Lidia. Ils font partie de ma famille. Ils savent à quel point cette situation est dure » précise le torero qui a décidé de ne pas porter un cache-œil de pirate. « C’est curieux, j’ai la sensation que je vois des deux yeux. C’est le syndrome du membre fantôme. On dit que la période d’adaptation monoculaire va de six mois à un an » explique Ureña dans l’interview.
En évoquant les peurs qui peuvent précéder une corrida, Paco Ureña montre l’aplomb propre aux grands toreros : « cette peur me fait tellement plaisir que j’ai besoin qu’elle arrive. Commencer à sentir cette peur, c’est un peu récupérer ma vie ». Un matador dont le professionnalisme l’avait poussé, à Albacete, quelques minutes après sa blessure, à vouloir estoquer le toro d’Alcurrucén qui l’avait pris : « j’ai même demandé pardi à Pablo Lozano, l’éleveur, de ne pas l’avoir réussi dès le premier coup. Après avoir tant donné de moi, ce toro méritait une mort digne, mais je ne voyais plus rien ». Un acharnement qui pourrait interroger celles et ceux qui ne saisissent pas pleinement le lien entre le torero et le toro : « quel animaliste aime autant le toro comme le fait un torero ? J’investis toute ma vie, je la lui donne. Que font-ils eux ? ».
La France taurine aura le privilège de retrouver Paco Ureña neuf mois après sa blessure d’Albacete. Programmé le Dimanche de Pentecôte, 9 juin, en matinée, il participera à sa quatrième corrida sur le sable des arènes de Nîmes. Un cartel savoureux où il partagera l’affiche avec Diego Urdiales et Pablo Aguado, dont ce sera la confirmation d’alternative en France face aux toros de Victoriano del Río. Assurément, une corrida à ne pas manquer.
Paco Ureña lors de sa première corrida depuis sa grave blessure d’Albacete, le 16 mars 2019, dans le patio de cuadrillas des arènes de Valencia (crédit photo : Rafa Navarro – SCP Valencia).