ESPAGNE : LES TOREROS S’INVESTISSENT EN POLITIQUE


On n’est jamais aussi bien représenté que par soi-même… Une maxime qui a dû mûrir depuis de longues années dans l’esprit de bon nombre de toreros, fatigués par les attaques constantes et répétées dont la Tauromachie fait l’objet. Un accroissement qui va de pair avec les élections de plusieurs maires Podemos dans des villes-clés, au lendemain du dénommé mouvement des Indignés, en Espagne, fruit de la contestation née de la rue pendant l’hiver 2010.

Une émergence qui a fait s’élever de nouvelles voix dans le paysage politique espagnol, faisant notamment écho aux contestations d’une partie de la mégalopole barcelonaise et de ses accents d’indépendantisme. Dans ce cadre, de nouvelles formations sont apparues au grand jour : les contestataires de Podemos ont clairement affiché leurs intentions d’une nouvelle Espagne, moderne et irrévérencieuse, tournant le dos à la Couronne, à l’instar de Ciudadanos et Albert Rivera, porteurs d’un indépendantisme à Barcelone qu’ils souhaiteraient décliner au niveau national dans un état progressiste, laïc et fédéraliste européen. En dix ans, la montée de ces deux mouvements a favorisé la naissance d’une autre formation, de droite identitaire et souverainiste, Vox, rassemblant bon nombre de partisans d’une Espagne traditionnelle et d’anciens élus du Partido popular.

Ancienne formation majoritaire, le Partido popular a vu son emprise politique s’effriter au cours des dernières années, en raison notamment de l’instabilité parlementaire qui traverse l’Espagne. Le 28 avril prochain seront convoquées les troisièmes élections générales en l’espace de… quatre ans ! Une situation unique qui trahit le malaise que connaît le pays voisin : comme si, en France, l’Assemblée nationale avait été dissoute à deux reprises depuis 2015.

Les « règnes » du socialiste Felipe González – de 1982 à 1996 – puis du leader du PP, José María Aznar – de 1996 à 2004 – du socialiste José Luis Rodríguez Zapatero – de 2004 à 2011 – et de l’ancien ministre PP Mariano Rajoz – de 2011 à 2019 – ont fait place à des périodes plus resserrées pour les chefs du gouvernement espagnol. En témoigne la gouvernance du socialiste Pedro Sánchez, débutée le 2 juin 2018 suite à l’adoption d’une motion de censure contre Mariano Rajoy. Un court règne de 10 mois qui pourrait aboutir à la nomination d’un nouveau gouvernement, le Congrès ayant rejeté le projet de loi de finances de Sánchez !

Dans ce tumulte politique, signe d’une société espagnole en perte de repères, certains élus ont cru utile, à l’instar de certains indépendantistes catalans, d’instrumentaliser l’art tauromachique afin d’en faire un élément de rejet de l’Espagne monarchique d’antan. Dans plusieurs provinces, les formations politiques traditionnelles ont joué avec le feu des alliances, provoquant la colère des clubs taurins : afin de gagner des majorités, le PSOE a joué contre la tauromachie, et le PP a parfois préféré la neutralité de l’abstention. Des positions qui n’ont pas plu à tous, y compris dans certains bastions socialistes qui semblaient imprenables : ainsi, en 2018, le Parti socialiste ouvrier espagnol a subi sa plus lourde défaite en Andalousie depuis 37 ans, province qu’il n’est plus en mesure de gouverner sans une coalition d’autres forces de gauche.

L’Andalousie, l’une des provinces où le parti Vox a fait l’une de ses percées les plus spectaculaires. Son leader, Santiago Abascal, ancien du Partido popular, souhaite rebattre les cartes du paysage politique espagnol et tendre la main aux défenseurs de l’identité culturelle de son pays. Alors que le Partido popular a toujours semblé faire preuve de constance, au niveau national, dans sa défense de la Tauromachie, Abascal a fait une brèche au cours de l’hiver dernier en s’affichant publiquement aux arènes au côté de Morante De La Puebla. Un torero andalou qu’on ne présente plus et qui a officialisé son soutien à Vox. Annonce qui a par ailleurs été suivie d’attaques à l’encontre de sa personne et de l’inscription de tags diffamatoires sur les murs de sa propriété de la Puebla del Río, traitant le torero de « nazi ».

Outre Morante, Santiago Abascal a également convaincu Serafín Marín de rejoindre les rangs de Vox. Le torero catalan, particulièrement déçu de la « trahison » d’Albert Rivera et Ciudadanos à Barcelone – soutenant la Tauromachie alors qu’il était encore inconnu – figure en troisième position sur la liste Vox conduite par Ignacio Garriga Vaz de Concicao. A Vitoria, le futur matador Daniel Ollora « El Dani » a également pris position pour ces élections.

Côté Partido popular, d’autres toreros entendent défendre leur profession dans les plus hautes instances du bicamérisme parlementaire espagnol. Sacré matador de toros dans nos arènes de Nîmes au cours de la Primavera 2003, Salvador Vega se présentera sous l’étiquette du PP à Málaga, sa terre d’origine. Autre engagé dans les rangs du Partido popular, une autre figura dans les pistes et les médias espagnols, Miguel Abellán : « ce n’est pas de l’opportunisme, si ce n’est de la générosité, de la solidarité et de la vaillance. S’engager de la sorte signifie mon implication et mon engagement pour l’Espagne, avec les besoins du monde des Toros, de la Chasse et du Monde rural », explique le torero madrilène, qui a également franchi la Grande porte de la Monumental de Las Ventas.

Une autre corrida débute pour ces trois toreros aguerris aux plus grandes luttes…

Miguel Abellán, Serafín Marín, Salvador Vega. Ce n’est pas le cartel d’une prochaine corrida, mais le visage de trois toreros candidats aux élections générales espagnoles (crédits photo : Anthony Maurin & comptes Twitter personnels).